Que deviendra la langue Bretonne au XXI ème siècle ?

Français, Anglais, langues régionales


La théorie du « complot » contre la langue française est une ânerie

Un débat fait actuellement fureur: celui des langues. Vous êtes en majorité des français de souche. Vous avez donc sur la matière des idées bien arrêtées, et même des préjugés. Nul doute, donc, que je ne ferai pas plaisir à tout le monde. Je ne vais pas bâtir un monument de plus à la gloire de la langue française; non pas parce que je suis breton, mais parce que j´ai réfléchi au problème pendant des années, et que mon discours n´est pas celui des lieux communs, ni des clichés, ni des affirmations à l´emporte-pièce, galvaudées par certains médias.

Les interrogations actuelles sont le reflet des questions que beaucoup se posent, dont l´une essentielle: quelle langue parlerons nous demain ? Doit-on ressusciter les vieilles langues en voie d´extinction, leur donner une vigueur nouvelle ? Doit-on, au contraire, devancer l´histoire, et utiliser au plus vite, pour gagner du temps, cet outil linguistique déjà privilégié par de nombreux pays: l´anglais ? Quelle sera la place du français dans le monde de demain ? Cet idiôme n´est-il pas voué à devenir une langue régionale, à son tour, comme tant d´autres ?

Promouvoir le breton, le basque, l´alsacien, c´est, disent les uns, régresser à une ancienne féodalité, voire se vouer au tribalisme. Pas du tout, répondent les régionalistes: l´avenir n´est pas à la monotonie, mais à la diversité; le monde ne se portera bien que si l´on reconnaît aux peuples le droit à la différence.

Le multilinguisme, soutiennent certains, expose au risque de voir la nation éclater, avec de gravissimes inconvénients. Nullement, répond-on d´autre part: la nation française n´est pas uniformité, mais diversité et multiplicité. Permettre aux régions d´assumer leur personnalité sans complexe, c´est restaurer la France dans sa richesse, dans sa vérité. N´est-il pas admis que la France, bâtie par la violence par les doctrinaires de 1789, est une construction arbitraire et artificielle ?

Comment, disent les pessimistes, contraindre les enfants à parler deux langues, quand ils peinent déjà à en parler une seule ? Erreur, répondent les autres, quiconque n´a lu qu´un livre ne connaît rien à la littérature. Celui qui en a lu dix mille, cent mille, peut prétendre avoir acquis un vrai savoir. La connaissance même partielle de plusieurs langues, permet de mieux connaître et de mieux parler son idiôme maternel. Cette thèse est fermement soutenue par les linguistes, qui savent de quoi ils parlent.

Le multilinguisme, entend-on dire encore, est impossible, pour la raison que la Constitution impose péremptoirement à tous une langue officielle: le français. Argutie, rétorque-t-on: la Constitution n´est obligatoire que jusqu´à sa révision, ce qui est facile, comme le démontre l´histoire récente.

Au nom de quel principe, par ailleurs, les bretons, les basques, qui ont existé en tant que nations bien avant les français, sont-ils moins égaux que ceux-ci, et seraient ils privés du droit sacré de parler et de cultiver la langue de leurs ancêtres  ? La loi est la même pour tous. La liberté individuelle n´est pas la propriété des seuls francophones.

Telles sont quelques-unes des contradictions et des questions qui se posent, dans ce débat complexe.

L´ESSOR ET LE DECLIN DES LANGUES : UN PHENOMENE NATUREL

Certains médias entretiennent l´idée que la langue française est menacée par un double complot. D´un côté les américains combattent activement la langue française, par tous les moyens à leur disposition. De l´autre, les régionalistes, dont certains ne se cachent pas de travailler à la dislocation de la France, souhaitent sa mort et s´attachent à remplacer sa langue par la leur.

L´enseignement de l´histoire permet de répondre à cette double accusation: la progression, la conquête de statut de prééminence, la régression des langues est un phénomène aussi vieux que l´humanité.

Lorsque l´Egypte créa un empire dépassant largement ses limites actuelles, et comprenant la Palestine, la Syrie, la Turquie, la Grèce..... elle exporta aussi sa religion, ses valeurs, sa culture, sa langue, qui laissèrent longtemps des traces à distance, lorsqu´elle se rétracta le long de la vallée du Nil.

De même les cités grecques, en colonisant le bassin méditerranéen (Sicile, côtes de l´Afrique du Nord, rives méridionales de la Gaule, Italie.), exportèrent leur architecture, leurs Institutions, leur culture, leur littérature. Les élites parlèrent le grec dans toutes les régions colonisées, et cela dura longtemps.

Rome devint à son tour le modèle du monde civilisé, et pas seulement par la force des armes ou la coercition de leur administration; même si les empereurs et les Romains cultivés continuèrent longtemps à parler le grec et à l´écrire, le latin s´imposa dans toute l´étendue de l´empire, au moins dans les sphères dirigeantes, commerçantes et bourgeoises.

Après l´effondrement de l´Empire, en 476, le latin demeura. Il était devenu la langue de l´Eglise. Celle-ci ayant vocation universelle, tous les hommes cultivés, et pas seulement les hommes d´Eglise, la parlèrent, car cela leur permettait de communiquer entre eux dans toute la chrétienté. Toutes les grandes ouvres littéraires, puis scientifiques furent écrites dans cette langue. Elle fut aussi la langue diplomatique privilégiée, et même la langue officielle de plusieurs états européens.

A la fin du XVème siècle, la cour d´Angleterre et la cour de Bretagne ne communiquaient entre elles qu´en latin. L´expansion du français commença dès le XIIIème siècle. Sous Louis IX, Paris devint la nouvelle Athènes, la capitale intellectuelle d´une partie de l´Europe. La langue, celle de la royauté alors la plus puissante, grignota peu à peu sur les principautés voisines. Dès le Xème siècle, d´ailleurs, le breton, alors parlé jusqu´à Rennes, avait commencé à régresser. A l´époque de Saint Louis, la moitié occidentale de la Bretagne parlait déjà le français. Le phénomène ne cessa de s´accentuer. Sous Louis XI, Charles VII, Louis XII, il était déjà très avancé, et avait gagné en partie les grandes villes de la zone bretonophone.

Avant que le français ne s´impose à l´ensemble de l´Europe comme langue dominante, il y eut cependant une période que beaucoup ont oubliée: celle de la prééminence de l´italien. Lorsque Charles VIII envahit la péninsule italienne, les français y découvrirent une civilisation infiniment plus avancée que la leur. Le raffinement des mours, des vêtements, de la peinture, de l´architecture les éblouirent. Comparez, à peu de distance, le sombre château médiéval de Langeais, construit par Louis XI, et le palais d´Amboise, construit par son fils Charles VII sur le modèle italien; vos yeux seront saisis par la différence. Les italiens de ce temps étaient les maîtres dans tous les domaines de la culture. Aussi la langue de l´élégance, de la distinction, du raffinement, fut la leur. Tous les rois, de Louis XI à Louis XIV, parlèrent et écrivirent l´italien. A la cour, il fut de bon ton de parler la langue de Dante. Les italianismes envahirent le parler des gens distingués. Lorsque Le Bernin vint en France à la demande de louis XIV, il affecta de ne pas apprendre le français: sa langue lui semblait assez admirable pour que les français l´apprissent et la parlassent.

C´est à la fin du XVIIème siècle, sous le règne de Louis XIV, que le français commença résolument à s´imposer. Cette progression fut rapidement irréversible. Au XVIIIème siècle, les milieux cultivés d´Europe - même si les résistances furent parfois virulentes - parlèrent, et souvent écrivirent en français. Les correspondances diplomatiques et les traités furent le plus souvent rédigés en français. L´Europe du XVIIIème siècle était devenue française. Cette situation dura jusqu´à la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle.

LE DECLIN DE LA LANGUE FRANÇAISE

La suite est connue: la langue française commença alors, lentement mais sûrement, à décliner partout. Elle perdit son statut de langue littéraire, puis de langue diplomatique, enfin de langue commerciale. Ces dernières décennies, alors que l´anglais s´imposait peu à peu comme langue internationale, des pays entiers jusqu´alors francophiles et francophones, se convertirent au nouvel idiôme, devenu la langue universelle.

Je suis en mesure maintenant de vous proposer ces premières conclusions.

La situation actuelle est vécue par beaucoup de français avec tristesse. Celà n´a absolument rien d´original. L´évolution linguistique du monde ( nous n´avons évoqué que l´Europe, sans parler de l´Asie, de l´Afrique, des Amériques...), est un phénomène continu, jamais interrompu. Plusieurs langues en Europe comme ailleurs, ont à toutes les époques joué un rôle prédominant dans les échanges entre les hommes.

Mais cette prééminence n´a jamais été que temporaire; aucune ne s´est jamais imposée de manière définitive. Ce qui arrive aujourd´hui à la langue française est une phase naturelle de son histoire. On peut le regretter, mais c´est ainsi.

L´évolution des langues de communication est essentiellement un phénomène spontané. Les innombrables Principautés allemandes (plus de 300 à la fin du XVème siècle), ont petit à petit adopté la même langue, sans la moindre pression d´un pouvoir central, qui n´existait pas. De même le français s´est imposé naturellement, sans que la monarchie lève le petit doigt pour qu´il en soit ainsi.

Ni les grecs, ni les romains, ni les italiens naguère n´usèrent davantage de contrainte et de violence pour imposer leur langue.

La théorie du « complot » répandue par certains médias est une sottise ; l´anglais progresse spontanément parce que c´est la langue de la puissance économique la plus importante : les Etats-Unis. Pour tout dire, parce que, dans le contexte international actuel, elle est la plus utile pour les échanges internationaux.

Le fait que quelques groupuscules allemands ou autres versent quelques maigres subventions aux partisans du rétablissement des langues locales, ne change rien à cela. L´Europe de demain parlera majoritairement anglais, et il y a d´excellentes raisons de penser que le phénomène va s´accentuer décennie en décennie.

La langue française et les langues régionales vont-elles disparaître pour autant ? Nous ne le pensons pas.

Mais de cela, nous vous parlerons une autre fois.

LOUIS MELENNEC

( Allocution prononcée au colloque organisé par l´Alliance Sociale en 2001
sur l´Avenir des langues au XXI ème siècle )

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