A la fin du quinzième siècle la Bretagne
n'était qu'un duché ; son prince portait le titre de
duc ; au début de chaque règne, il prêtait
hommage au roi de France. A n'y pas regarder de plus près,
il était donc _ selon la terminologie courante _ son vassal,
voire son sujet.
Dans des circonstances que les histoires de France traditionnelles
ne cherchent pas à détailler, Charles VIII
épousa la duchesse héritière Anne au
château de Langeais en décembre 1491.
Les plus savants savent que ce mariage fut
précédé par un conflit militaire
britto-français, et que la duchesse avait été
mariée à un prince autrichien, entré dans
l'histoire sous le nom de Maximilien Ier, empereur et
grand-père de Charles-Quint. On ignore dans quelles
conditions se fit et se rompit cette union.
On signale parfois, comme une singularité de l'histoire,
que le contrat de mariage de Charles VIII et d'Anne
prévoyait qu'au cas où la princesse deviendrait
veuve, elle épouserait le successeur de son mari sur le
trône de France.
Ce qui arriva, en effet. Charles VIII étant mort par
accident le 7 avril 1498, Anne convola avec le nouveau roi, Louis
d'Orléans - devenu Louis XII - en janvier 1499.
Aucun des six enfants nés du mariage d'Anne et de Charles
VIII ne survécut.
De l'union avec Louis XII naquirent trois enfants, dont deux
survécurent. Claude, née en 1499, épousa le
duc de Valois, comte d'Angoulême, qui succéda à
son beau-père le 1er janvier 1515, sous le nom de
François Ier.
La seconde, Renée, s'illustra en épousant le duc de
Ferrare, et en créant dans la capitale des états de
son mari une cour brillante, dans laquelle elle reçut les
poètes et les grands esprits du temps, en particulier
Clément Marot et Calvin. Claude de France mourut en
1524.
La Bretagne n'ayant plus de Prince, veuve de sa dynastie, trouva
naturel de solliciter que la France la réunît au
Royaume. Ce qui fut accordé par la monarchie, par des actes
publiés en aoôt et en septembre 1532,
généralement désignés sous le nom de
Traité de réunion de la Bretagne à la
France.
Cet épilogue fut considéré comme heureux. Pour
la Bretagne surtout.
A partir du dix-septième siècle, le Duché ne
fut plus crédité par personne d'avoir
été une principauté Haute et Noble. La
conviction s'ancra qu'elle avait toujours été un fief
de la Couronne de France et même, selon certains auteurs, un
arrière-fief (1) .
Sous le règne de Louis XIV, cette médiocre
Principauté était devenue une sorte d'exil, où
l'on envoyait en pénitence les récalcitrants et les
criminels, ce que tous savent par les fables de la Fontaine
(2) . Madame de
Sévigné, lorsqu'elle était
désargentée, y allait faire les foins, ce qui valut
à la France de charmantes épîtres, que l'on
étudia dans les collèges jusqu'au milieu du
vingtième siècle. Loin de tout courant de
civilisation et des Lumières, la Bretagne avait, grâce
à la France, accédé à la Civilisation
après des siècles d'obscurantisme (3) .
A l'exception de quelques historiens, telle fut la version
admise par tous. Clovis avait créé le royaume franc
à la fin du cinquième siècle. Le lent travail
des Capétiens, successeurs des Carolingiens, eux-mêmes
héritiers des Mérovingiens, reconstitua peu à
peu le Royaume, et le fit à nouveau rentrer dans ses limites
naturelles, qui coïncidaient, grosso modo, à celles de
l'ancienne Gaule. A telle enseigne qu'ayant acquis la Lorraine par
traité en 1662, Louis XIV, écrivit : C'était
l'ancien patrimoine de nos pères ; il était beau de
le joindre au corps de la monarchie, dont il avait
été si longtemps séparé ; et qu'un
savant auteur, Pierre Pradel, Inspecteur général des
musées de France, membre de l'Institut, publiant en 1986 un
ouvrage sur Anne de France, fille de Louis XI, crut pouvoir
écrire que l'annexion par les Capétiens des
principautés limitrophes de leurs états consistait
à faire rentrer ces provinces au bercail (!) (4) .
Dans cette construction intellectuelle d'une France qui avait
toujours été hexagonale, ou prédestinée
à le devenir, la Bretagne trouvait sa place naturelle, et
entrait donc, par le Traité de Réunion dans la case
qui avait toujours été la sienne.
C'est cette version qui fut enseignée dans les écoles
bretonnes jusqu'en 1960.
Le problème posé est-il si simple ?
- La Bretagne, tout d'abord, a-t-elle été de tous temps, comme l'ont affirmé nombre d'historiens, une partie du royaume franc, démembré de la Couronne, ou au contraire une principauté indépendante, n'obéissant qu'à ses souverains ?
- Le duc de Bretagne a-t-il été vassal soumis et
subordonné au roi de France ? A t-il, au contraire
exercé les attributs de la puissance souveraine dans ses
états ? Ou bien encore, a t-il eu seulement l'illusion
d'être indépendant, alors que le véritable
Maître était le roi de France ? (5)
Au plan juridique, quelle est la signification du processus désigné sous le nom de Traité de réunion ? S'est-il agi, comme on l'a généralement soutenu, d'un accord librement conclu entre les parties contractantes ? Ou d'un montage juridique destiné à camoufler la réalité : l'annexion de la Bretagne par la France.
Il est nécessaire d'entrer plus avant dans le
détail, d'analyser les positions des auteurs sur cette
période charnière qui s'étend de la mort de
Louis XI (1483), aux actes en cause (1532). Bien qu'il soit
difficile d'effectuer un classement rationnel, on peut
considérer que les ouvrages publiés se partagent en
quatre groupes, qui sont le reflet de leur temps, des pressions
directes et indirectes qui s'exercèrent sur les historiens,
parfois à leur insu, immergés qu'ils étaient
dans un contexte qui ne permettait pas à la
vérité d'être dite, ni même d'être
pensée.
Le seizième siècle, marqué par une sorte de
sidération douloureuse liée à la
proximité de la défaite, ne verra paraître
qu'une œuvre d'envergure, celle de Bernard d'Argentré,
hautement conflictuelle et source de polémiques très
vives (chapitre I).
Les dix-septième et dix-huitième siècles,
installés dans une sorte de gestion des relations
britto-françaises au mieux des intérêts
réciproques, les Bretons ayant trouvé une sorte de
modus vivendi avec la Monarchie, suscitèrent deux ouvrages
de grande qualité, mais peu audacieux, ceux de Lobineau et
de Morice (chapitre II).
Le dix-neuvième siècle est celui de l'acceptation
résignée chez les uns (La Borderie), sereine chez les
autres (Barthélemy Pocquet). Les ouvrages universitaires et
para-universitaires qui commencent à fleurir à cette
époque sont le refuge d'opinions conventionnelles, sans
audace ni originalité (chapitre III).
Le vingtième siècle, qui est celui du réveil
du nationalisme et du régionalisme, voit apparaître
des thèses nouvelles, parmi lesquelles celles visant
à remettre en application le traité de 1532, aboli
par la révolution de 1789 (chapitre IV).
Louis MELENNEC
Notes :1 Saint SIMON, Traités politiques et autres écrits.
Paris, 1996, 1 342 : La Bretagne relevait directement du Duché de Normandie, et médiatement par elle de la Couronne. Bien loin donc que les comtes de Bretagne ne fissent que des princes dans toutes leurs branches, personne n'ignore quelle était alors, et longtemps depuis, l'extrême disproportion de rang et de fonction des vassaux immédiats de la Couronne d'avec les vassaux médiats, qui, quelques grands qu'ils fussent, ne possédaient que des arrière-fiefs.
2 La FONTAINE (Jean de), Le chantier embourbé.
3 BALZAC (Honoré de), Les chouans
Auguste ROMIEU, Sous-préfet de Quimperlé :Créons, pour l'amélioration de la race bretonne, quelques-unes de ces primes que nous réservons aux chevaux é La basse Bretagne, je ne cesserai de le dire, est une contrée à part, qui n'est plus la France ; exceptez-en les villes, le reste doit être soumis à une sorte de régime colonial. Toute l'histoire de la Bretagne. Morlaix, 1996.
4 PRADEL (Pierre), Anne de France (1461 - 1522).
Paris, 1986 : L'une après l'autre les provinces rentraient au bercail depuis un siècle, par extinction des races ou tractations diplomatiques : la Bourgogne, l'Anjou, la Provence, le Roussillon sous Louis XI ; la Bretagne, l'Orléanais et le Blésois, par l'avènement de Louis XII ; l'Angoumois par celui de François. Certes, il demeurait au cœur des Valois comme une plaie lancinante, le souvenir des possessions, Artois, Flandres, Franche-Comté éMais c'était là régions excentriques à récupérer par guerre ou mariage (sic).
5 LEGUAY (Jean Pierre) et MARTIN (Hervé), Fastes et malheurs de la Bretagne ducale (1213 - 1532).
Rennes, 1982 ; chapitre Les illusions de l'indépendance , 397 et suivantes.