Les symptômes provoqués par ce qu'il est convenu de dénommer "les bruits de voisinage" constituent un
authentique syndrome de stress, assimilable en tous points à une névrose traumatique.
L'étude clinique qui suit n'est certes pas la première publiée sur ce sujet.
Mais elle authentifie ce syndrome en tant que tel, et le place, peut être pour la première fois, dans son véritable cadre
nosologique.
L'analyse que nous proposons donne sa véritable dimension au problème posé, que d'aucuns n'hésitent pas à qualifier
D'ENNEMI NUMERO UN des temps modernes.
D'une manière empirique, on peut classer les bruits qui provoquent des nuisances et peuvent avoir des effets sur la santé de
la manière suivante:
-
- Bruits industriels ou survenant sur les lieux du travail (chantiers, ateliers, discothèques ...).
Ces bruits entraînent principalement de troubles auditifs (surdité, acouphènes..), qui peuvent donner lieu à des indemnisations
au titre des maladies professionnelles.
- - Bruits constitutifs de tapages nocturnes. Il s'agit d'une infraction de troisième classe, prévue par le code pénal,
susceptible, outre les dommages et intérêts, d'être sanctionnée par une peine d'amende. Cette infraction est de la compétence du
tribunal de police.
- - Bruits de voisinage. Ce sont les seuls que nous traitons ici.
I - FACTEURS ETIOLOGIQUES.
1 - IMPORTANCE DES BRUITS DE VOISINAGE.
Les bruits de voisinage sont devenus un problème majeur de santé publique. Ils entraînent, non seulement une altération de la qualité de la vie de ceux qui en sont victimes, mais souvent des troubles psychologiques ou même psychiques, pouvant nécessiter l'intervention de l'administration, des tribunaux, des médecins.
La population française est concernée à hauteur de 40 à 50 pour 100, soit d'une manière continue, soit d'une manière discontinue.
Les procédures judiciaires, alors que des mesures simples devraient suffire à résoudre nombre de cas, se multiplient, souvent sans résultat, le plus souvent par la sottise des protagonistes, qui refusent de dialoguer.
Le coût économique (recherche, mise au point de matériaux isolants, travaux, pose de ces matériaux, soins médicaux, conflits de toutes natures), est considérable. Le coût humain l'est encore davantage.
La législation, la jurisprudence, surtout pour les bruits industriels, sont devenues un maquis souvent difficile à comprendre. Pour les bruits de voisinage, les victimes sont aujourd'hui beaucoup mieux prises en considération. Les condamnations des fauteurs de bruit sont plus lourdes et plus efficaces. Le droit a évolué en faveur des victimes d'une manière très notable depuis plusieurs années. On commence, notamment, à voir apparaître des condamnations à dommages et intérêts, sur le fondement d'expertises médicales, en raison des troubles psychologiques provoqués chez les victimes.
Les textes et la jurisprudence concernant les différents cas sont publiés sur Internet, et sont aisément identifiables dans les rubriques correspondantes (bruits de voisinage, de musique, de pas, etc.). Nous ne citerons donc ici que peu de références.
2 - NATURE DES BRUITS CONCERNES.
La liste en est interminable. D'une manière empirique encore, on peut distinguer:
- a - LES BRUITS PROVENANT DES PERSONNES, ou " BRUITS DE COMPORTEMENT."
Ces bruits proviennent du comportement inadéquat des
individus. Ils se sont multipliés d'une manière exponentielle, depuis une quarantaine d'années, dans le prolongement des thèses
selon lesquelles "il est interdit d'interdire", au motif que toute contrainte empêche l'individu de s'épanouir. C'est un forme
inattendue de la crise des valeurs, qui néglige ou méprise le bien être d'autrui.
Ces bruits sont répréhensibles, parce qu'ils sont INUTILES ET EVITABLES, et qu'ils pourraient être supprimés ou atténués par la
simple attention portée au confort des autres.
Parmi les plus fréquents: les bruits de pas (dans les escaliers, sur le parquet, les carrelages ......), les claquements des
portes, des fenêtres, des tiroirs, la chute des objets sur le sol, les déplacements intempestifs ou à des heures indues du
mobilier, les travaux ménagers ou autres le soir, la nuit, tôt le matin, etc.
- b - LES BRUITS DUS AUX CHOSES ET AU IMMEUBLES.
Les nouveaux immeubles obéissent à des règles strictes de construction et
d'urbanisme, destinées, notamment, à empêcher les nuisances sonores. Le non respect de ces normes est répréhensible en soi.
Des travaux de remise aux normes peuvent être ordonnés par les tribunaux, même si les nuisances sont faibles.
Les vieux immeubles émettent des bruits divers: les planchers craquent, les cloisons, de faible épaisseur, laissent passer les
bruits; les vitrages, non doublés, et de faible épaisseur, n'assurent qu'une protection faible. Les voix, les conversations, sont
audibles ... Les bruits les plus pathogènes, en général, sont ceux provoqués par LES PLANCHERS DE BOIS OU LES CARRELAGES
(cuisines, salles de bains ...). Les tribunaux ordonnent de plus en plus souvent des travaux isolants dans les vieux immeubles,
même si ceux-ci ont été construits à une époque ou aucune norme particulière n'était applicable, hors les usages en cours.
Ce qui est normal: il n'y a aucune raison que les habitants des vieux immeubles soient moins protégés contre les nuisances que ceux
qui habitent les immeubles modernes.
- c - LES BRUITS DUS AUX ANIMAUX.
Les chiens (aboiements, jappements ..) sont de loin les plus concernés. Mais pas seulement.
Nombre de décisions concernent les oiseaux (domestiques ou non), et même les animaux de basse-cour (coqs, oies...).
- d - LES BRUITS DE MUSIQUE.
Un important contingent de décisions judiciaires est fourni par les instruments de musique,
de toute nature: pianos, violons, violoncelles, flûtes, clarinettes, etc. Aujourd'hui, ces instruments sont supplantés par les
chaînes HI-FI, les instruments électroniques, dont le réglage est à la seule discrétion de leurs utilisateurs, qui en usent et en
abusent. Les tribunaux, dont la jurisprudence est surabondante pour les discothèques et autres lieux similaires, ne sont pas
encore encore intervenus pour faire cesser les vacarmes organisés sur les places publiques par les municipalités, à intervalles
réguliers. Notamment pour ramener à de justes proportions ce que l'on dénomme plaisamment " La fête de la musique "; initiative au
début louable, mais devenue au fil des ans un vacarme hallucinant, dysharmonieux et cacophonique, qui épargne la partie la plus
favorisée de la population (celle qui peut fuir à la campagne le jour ou elle est donnée), mais détruit à grande vitesse
l'audition des jeunes musiciens que l'on n'a pas voulu protéger jusqu'à aujourd'hui, et insupporte les riverains, que l'on prend
pour des imbéciles, en leur faisant accroire qu'il ne font aucune différence entre la musique et le bruit.
(Cette "catégorie" ne fait pas partie des bruits de voisinage, seuls étudiés ici, mais de la citer permettra à certains lecteurs
un début de prise de conscience).
II - PHYSIOPATHOLOGIE.
Les manifestations cliniques dues aux bruits de voisinage constituent une véritable entité, assimilable en tous points à un
syndrome de stress, constitutif de névrose traumatique.
Les névroses traumatiques sont bien connues au plan clinique. Elles ont été précocement identifiées et décrites par les médecins
militaires, confrontés de longue date aux troubles psychologiques et psychiques induits par les faits de guerre, brutaux, intenses
et uniques, ou au contraire plus ou moins longuement vécus dans le temps, pendant des mois, des années, voire davantage
( Consulter, en particulier, le remarquable Traité de Psychiatrie militaire de Juillet et Moutin, publié par Masson en 1969).
Les névroses collectives - résultant notamment de l'asservissement de certains peuples par d'autres, et de la destruction de la
culture des vaincus -, ne sont connues que depuis peu (sur ce point, voir notre contribution à la description du SYNDROME BRETON,
publiée en partie sur le site de Louis Mélennec).
La physiopathologie du syndrome de stress dû aux bruits de voisinage reste mystérieuse. Son apparition est largement liée au
contexte dans lequel il survient. Un certain nombre de fait méritent d' être soulignés:
- - Absence de proportionnalité entre l'intensité des bruits et l'intensité des symptômes. Les bruits en cause ne sont pas
nécessairement intenses; ils peuvent être d'intensité moyenne, voire même peu intenses. Leur CARACTERE REPETITIF est déterminant.
C'est surtout à ce niveau qu'il faut intervenir pour rompre la chaine des causes et des effets. La suppression radicale de la
cause entraîne la cessation des troubles, non sans séquelles parfois, comme dans toute autre névrose traumatique (voir plus loin).
Les médicaments ne produisent d'effets que sur les symptômes. On ne peut s'empêcher d'évoquer certaines tortures infligées autrefois
(peut-être même aujourd'hui) dans certains pays d'Asie, notamment durant la guerre du Vietnam.
La tête du sujet est très solidement immobilisée dans un appareil qui interdit tout mouvement, même léger. Au dessus est placé un
récipient, rempli d'eau, qui s'écoule par un trou percé à cet effet, GOUTE A GOUTE. Au début, l'effet produit est minime.
Mais les troubles psychologiques et psychiques apparaissent rapidement. On peut aboutir à des tableaux gravissimes, psychotiques,
irréversibles. L'évocation de ce fait souligne combien peut être sérieuse la pathologie due au bruit, et combien est important le
rôle des pouvoirs publics et des tribunaux, afin de les prévenir ou de les faire cesser.
- - TERRAIN. Un vieil adage, souvent invoqué, affirme que "ne fait pas névrose qui veut". La règle est générale.
Certains sujets sont quasi insensibles au bruit (au moins en apparence). On connaît des personnes qui choisissent soigneusement
leur habitation a proximité d'un lieu bruyant (voie à grande circulation, autoroute, voie ferrée, port, chantier ...), ne pouvant
vivre ailleurs ( surtout pas dans leur maison de campagne!), ou qui ne peuvent exister que dans le vacarme de la musique, de la
radio, de la télévision, même la nuit. D'autres entendent le froissement d'une feuille de papier à travers la cloison!
Parmi les enfants d'une même famille, certains passent au travers d'une même éducation traumatisante, infligée par les mêmes
parents, sans dégats; d'autres développent des tableaux cliniques sévères. En pathologie routière, c'est une constatation ancienne
que des traumatismes bénins peuvent provoquer des manifestations psychiques sérieuses, alors que des lésions physiques importantes
peuvent ne provoquer aucune séquelle psychique à distance. On a souvent dit que la lésion physique grave détourne le traumatisme
psychique, "à la manière du paratonnerre". Les cliniciens ont été frappés par l'étonnante capacité de récupération psychologique
des paralysés des membres inférieurs (paraplégiques), dont beaucoup reprennent une vie active, en dépit des séquelles neurologiques
et du considérable handicap résiduels.
Il en va de même dans les états de stress dus au bruit. Le terrain joue donc un rôle, mais certainement non exclusif: du moment
qu'une "cause" est identifiée, sa participation doit être retenue.
- - ATTITUDE DES PROTAGONISTES. Le caractère inducteur ou aggravant résulte souvent de l'incapacité des protagonistes
(ou de l'un d'eux) à comprendre la situation, et à leur refus de dialoguer et de trouver une solution raisonnable au litige.
L'attitude la plus sotte consiste, pour l'un d'eux, à tenir le raisonnement suivant: "Je suis chez moi; je suis libre; je fais ce
que je veux chez moi". Exemples constatés fréquemment: la machine à laver continue à fonctionner la nuit; le sourd refuse de
baisser le son de la télévision, ou, solution simplissime, de porter un casque d'écoute; le propriétaire d'un parquet de bois
refuse d'utiliser des chaussons, de munir les pieds des chaises de pastilles de feutre (coût: quelques euros), ce qui ferait
instantanément cesser la nuisance, sinon en totalité, du moins en grande partie. Non seulement le conflit persiste, mais
s'amplifie, jusqu'à devenir un enfer ... pour les deux parties! Une conversation calme et didactique des intéressés, recherchant
ensemble une solution de bonne volonté, produit parfois des miracles, MEME SI LE BRUIT NE PEUT ETRE TECHNIQUEMENT ETRE SUPPRIME !
L'évolution des moeurs n'est plus à la raison, mais au narcissisme stupide, quoiqu'on observe depuis peu à une tentative de
reconstruction des valeurs.
Certains sujets sont très attentifs à savoir si le bruit est inutile, superflu, et s'il peut ou non être supprimé par le
comportement de l'autre. La plus mauvaise situation est celle ou l'une des parties refuse d'entendre raison, alors qu'une solution
amiablement raisonnable est possible. Comme le souligne l'étude publiée en 1998 par le ministère de la santé et de la solidarité
(page 15): "La gêne ressentie est plus forte - voire beaucoup plus forte - , chez les personnes qui estiment que l'on pourrait
faire quelque chose pour remédier au bruit, alors qu'elle est modérée, à niveau acoustique identique, chez celles qui ont le
sentiment que le bruit est inéluctable". On parvient à s'accoutumer à l'autoroute voisine, non aux bruits volontairement
entretenus ou provoqués par un voisin mal éduqué ou insensible au confort des autres.
C'est pourquoi " IL EST NECESSAIRE DE PRENDRE EN COMPTE D'AUTRES CARACTERISTIQUES DU BRUIT QUE SON SIMPLE NIVEAU EN DECIBELS "
(même étude, page 13). Cette donnée, jadis quasi-ignorée par les tribunaux, est très importantes: le contexte peut être aussi
important, voire plus important que les effets.
III - ETUDE CLINIQUE. SYMPTOMES PROVOQUES PAR LES BRUITS DE VOISINAGE.
On distingue plusieurs formes, selon la gravité des symptômes.
- 1 - FORMES "LEGERES".
Elles comportent:
- - Des symptômes non spécifiques, d'allure plus ou moins banale, présents dans tous les syndromes de stress: nervosité, "agacement" invincible, nervosisme, émotivité accrue, réactivité augmentée à tous les stimulis sensotiels ou autres (lumière, bruits de toutes nature...), agressivité, intolérance accrue aux contrariétés, anxiété, angoisse, idées dépressives, fatigue, irritabilité, troubles du sommeil (endormissement difficile, réveils nocturnes, réveil précoce le matin .....).
- - Des symptômes spécifiques: le sujet vit dans l'attente anxieuse du bruit qu'il redoute; il guette l'arrivée de l'auteur des bruits, suit ses déplacements, attend son départ...
- - un malaise général, difficile à décrire, une sensation de mal être...
Cette catégorie correspond aux "troubles légers" décrits dans le Barème international de Mélennec et collègues ( cf: Internet).
- 2 - FORMES MODEREES, MOYENNES OU GRAVES.
- - LES SYMPTOMES NON SPECIFIQUES sont les mêmes, mais d'une intensité plus grande: anxiété, crises d'angoisse, pouvant exiger
la prise de sédatifs, fatigue; troubles du sommeil, sous toutes leurs formes (difficultés d'endormissement, réveils nocturnes,
réveils précoces, cauchemars...).... Le tout évolue sur un fond de tristesse, de désintéressement, de désinvestissement des
activités quotidiennes, familiales, professionnelles, de loisirs .....
La fatigue est globale: physique, intellectuelle, sexuelle. Elle peut aller jusqu'à l'épuisement.
- - LES SYMPTOMES SPECIFIQUES sont beaucoup plus nets. Ils évoquent ceux que l'on observe souvent dans les suites des coups et
blessure volontaires:
. intolérance générale aux bruits pouvant évoluer vers des phobies extensives.
- . Conduites d'évitement, particulièrement évocatrices: le sujet redoute de rentrer chez lui, diffère l'heure de regagner son
domicile, pour éviter le stress; il se met à détester son lieu de vie - même s'il a correspondu à son idéal d'existence.
L'habitation est liée à la souffrance psychologique. Il évite donc de s'y trouver. Au maximum (cas fréquents), il doit déménager,
sans savoir si sa nouvelle habitation ne sera pas plus pathogène que celle qu'il laisse derrière lui.
- . Attente anxieuse: le sujet ATTEND le bruit pathogène avec anxiété, qui, paradoxalement, lui apporte un certain apaisement
lorsqu'il s'est produit. L'histoire drôle racontée par Coluche n'a en réalité rien de drôle: le sujet, allongé dans son lit,
attend l'arrivée de son voisin du dessus; celui-ci, tous les soirs, jette ses chaussures l'une après l'autre sur le parquet.
Ce soir là, la victime n'entend qu'un seul choc. Excédé, il crie: " sale c...! Tu la jettes cette chaussure, oui ou non ?".
On est ici en présence d'un syndrome de stress grave. un état d'obsession peut apparaître, le sujet ne pensant plus qu'au bruit,
réel ou supposé.
- - Des épisodes dépressifs peuvent survenir, exigeant des soins spécialisés. Des suicides ont été évoqués, comme dans toute
névrose ou tout état de stress sévère. Dans ce cas, la relation de cause à effet est évidemment difficile à établir.
- - Des comportements incongrus, des passages à l'acte peuvent ponctuer cette évolution sévère. Aux propos incivils succèdent les
insultes, des actes agressifs - qui ne sont souvent rien d'autre que des appels à l'aide du sujet pour sortir d'une situation
devenue intenable -: crevaison des pneus de la voiture, rayures de la carosserie, dépôts d'excréments devant la porte, coups et
blessures volontaires, etc. Au lieu de désamorcer les conflits, ces actes les aggravent.
Plus grave: de loin en loin, la presse rapporte des cas d' homicides: des personnes, devenues intolérantes aux agressions
sonores, s'emparent de leur arme, et tirent dans le tas. Une affaire, survenue dans le midi de la France, il y a quelques
années, beaucoup fait parler d'elle: une bande de jeunes venait toutes les nuits s'amuser sous les fenêtres d'un pauvre homme...
celui-ci, un jour, tira sa carabine: l'irréparable fut commis.
- 3 - TROUBLES PSYCHO-SOMATIQUES OU AUTRES.
Aucune particularité encore, par rapport aux autres états de stress ou aux névroses traumatiques.
Ces troubles sont fréquents: poussées de psoriasis, d'eczéma, d'ulcère d'estomac... C'est tout le domaine de la pathologie psycho-somatique qui peut défiler ici.
Des zonas ont été décrits. Le zona est une affection virale; mais il est connu qu'en période de moindre résistance, les sujets fatigués ou épuisés sont plus sensibles que les autres.
- 4 - EVOLUTION DES TROUBLES.
- Le sujet peut s'habituer, ou s'accoutumer aux bruits, au bout d'un certain temps, surtout si, comme cela a été souligné, un rapprochement amiable est intervenu avec l'auteur des nuisances.
- La suppression radicale de la source sonore pathogène entraine souvent la guérison. Si l'on a parlé souvent autrefois, du rôle "thérapeutique" de l'expertise médicale (ce qui n'est pas une absurdité, l'expert pouvant avoir un rôle bénéfique ou apaisant), le rôle thérapeutique des tribunaux, ici, est capital: la lourdeur des sanctions civiles, des amendes, les réparations et l'insonorisation ordonnées peuvent avoir des effets spectaculaires. Il est rare que l'auteur d'un tapage nocturne, traîné en justice et condamné à une lourde amende, ose récidiver.
- Mais il peut persister des séquelles définitives, chez certains sujets. De même que dans les névroses de guerre et chez les déportés, on a pu décrire des cauchemars plusieurs DIZAINES d'années après les traumatismes subis, de même peut-on observer ici la persistance d'une sensibilité au bruit, de l'anxiété, des troubles du sommeil... Dans un de nos cas, une dame et son mari avaient dû subir dans l'appartement situé au dessus du leur la présence d'une actrice connue. Cette femme présenta - ainsi que son mari - une symptomatologie complète. QUARANTE ANS PLUS TARD, elle ne dort toujours pas normalement, et consomme encore des sédatifs;
- Les cas sont fréquents ou les deux protagonistes, alors que des solutions raisonnables existent (ne serait-ce qu'une bonne isolation des appartements de l'auteur du bruit et de la victime), s'installent dans une situation quasi infernale, qui leur "pourrit la vie", selon une terminologie souvent employée, tant par l'un que par l'autre. Cela peut durer des années. Cette situation s'observe dans toutes les formes de nuisances de voisinage.
Ceci démontre à quels point les troubles engendrés par les nuisances sonores sont devenus un problème grave de santé publique.
IV - PRINCIPES JURIDIQUES. FONDEMENTS DE L'ACTION EN RESPONSABILITE.
1 - DEFINITION JURIDIQUE DES BRUITS DOMMAGEABLES.
- a - Caducité de la notion de bruits "anormaux". On a cru, dans un passé récent, pouvoir affiner la notion de bruits
dommageables, en disant que seuls ceux que l'on peut qualifier "d'anormaux" sont de nature à mettre en cause la responsabilité
de leur auteur. Les autres, qualifiés de "normaux", échappent à toute sanction.
Il est vrai que l'homme vit dans un monde plus ou moins bruyant, et que certaines nuisances sonores ne peuvent être évitées.
Mais cette "définition" soulève plus de difficultés qu'elle n'en résoud. Marcher, grimper un escalier, jouer d'un instrument de
musique, etc., sont des activités en soi ordinaires, inévitables, donc "normales" jusqu'à un certain point.
Force est donc de constater que, pour savoir si les bruits provoqués par ces actes banals sont "anormaux", il faut les définir
non par leur nature, mais par leurs caractères, par exemple, en premier lieu, leur intensité excessive. La jurisprudence
ancienne fourmillait de contradictions, et n'était pas satisfaisante, les mêmes bruits étant qualifiés par certains juges d'un
certaine manière, par d'autres d'une autre façon.
- b - Nouvelle définition des bruits dommageables.
Le décret n° 2006 - 1099, relatif à la lutte contre les bruits de voisinage élargit considérablement la notion de bruits dommageables, dans un sens très favorable aux victimes:
" Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme, dans un lieu public ou privé, qu'une personne en soit elle-même à l'origine, ou que ce soit par l'intermédiaire d'une personne, d'une chose dont elle a la garde, ou d'un animal placé sous sa responsabilité".
Cette définition, on le voit, est extrêmement large:
- elle exclut le caractère "anormal" du bruit;
- elle ne tient plus compte de l'origine ni de la nature du bruit , ni de son origine (personne, chose, animal ...), ni du lieu ou il est émis (lieu public ou privé);
- elle ne retient QUE les caractères du bruit (DUREE, REPETITIVITE, INTENSITE), et ses effets dommageables (atteinte à la tranquillité du voisinage, ou à la santé de l'homme).
- elle exclut la notion de faute, ce qui est capital, ce qu'admet d'ailleurs la jurisprudence, depuis longtemps: du moment que le bruit en cause présente les caractères ci-dessus
On observera qu'il n'est fait aucune allusion à l'heure du jour ou de la nuit durant laquelle le bruit est émis. Une vieille croyance, ancrée dans le public, voulait qu'un certain niveau de nuisance sonore soit toléré dans les immeubles jusqu'à 22 heures, et qu'à partir de cette heure, on devait faire silence, par exemple en diminuant l'intensité sonore de la radio, de la télévision, ou autres objets similaires (chaines HI-FI, magnétophones, etc.).
Cette règle n'a jamais eu aucun fondement juridique. Elle ne figure dans aucun texte, pas davantage que la "tolérance" d'une fête nocturne une fois par mois: les particuliers ont droit au silence de jour comme de nuit.
En somme, il y a une certaine analogie avec l'interdiction de fumer dans les lieux publics.
Les principes généraux du droit interdisant tout dommage à autrui, c'est par erreur qu'on autorisait les individus à enfumer leurs voisins à toute heure et en tous lieux, ou par l'effet de pratiques ou de textes juridiquement inadéquats.
2 - FONDEMENT JURIDIQUE DE L'ACTION EN RESPONSABILITE:
L'INTERDICTION
DE NUIRE A AUTRUI.
a - L'interdiction de commettre des fautes causant dommage à autrui.
Les juristes ont discuté sur le point de savoir si l'action en responsabilité doit être
fondée sur l'article 1382 du code civil (responsabilité délictuelle), ou sur
l'article 1147 (responsabilité contractuelle). Les différences entre les deux
régimes sont minimes. La plupart ont adopté la seconde hypothèse (article
1147), en disant que les co-propriétaires qui acceptent de vivre en commun
dans le même immeuble concluent entre eux un pacte ( =un contrat), aux termes
duquel ils s'engagent réciproquement à respecter la tranquillité des autres, à leur
permettre de jouir de leur "lot", à ne pas causer se causer de nuisances,
sonores ou autres.
Le règlement de co-propriété matérialise ce contrat, puisqu'il énumère
les droits et obligations de chacun.
Cette analyse est inutile, surtout depuis
la définition ci-dessus, énoncée par le décret 2006-1099.
En réalité, l'action en responsabilité à l'encontre des auteurs des bruits
nuisibles n'est qu'un des aspects du principe général du droit, selon lequel:
- nul n'est autorisé à causer un dommage à autrui;
- quiconque cause un dommage à autrui, doit le réparer intégralement.
b - L'égalité des citoyens devant la loi.
La nouvelle définition place les citoyens
dans la même situation - au moins théoriquement - devant les nuisances sonores.
L'ancienne jurisprudence, fondée sur l'anormalité des bruits susceptibles d'engager
la responsabilité, entraînait des discordances.
Par exemple, il avait été jugé que
les bruits de pas, qui doivent ne pas être audibles dans les immeubles modernes,
en raison des normes désormais applicables en matière d'insonorisation, n'étaient
pas "anormaux" dans des immeubles construits à une époque ou n'existait aucune
réglementation particulière: deux situations juridiquement identiques étaient
traitées judiciairement d'une manière différente, ce qui est interdit en droit.
La nouvelle définition rend cette situation impossible, puisque désormais, il suffit que les bruits dommageables soient répétitifs, ou qu'ils durent un certain temps, et perceptibles au point d'entraîner une gêne ou une atteinte à la tranquillité ou à la santé d'autrui. Cette nouvelle définition contient en germe le droit à chacun au silence (au moins relatif), quel que soit l'immeuble dans lequel on réside, moderne ou ancien: les citoyens ONT
DONC DROIT A LA MEME PROTECTION CONTRE LES NUISANCES SONORES.
3 - FACTEURS AGGRAVANTS ET ATTENUATEURS DE RESPONSABILITE
ONT ETE RECONNUS COMME FACTEURS AGGRAVANT LA RESPONSABILITE:
- la volonté manifeste de nuire;
- l'acharnement à ne pas vouloir discuter des aménagements indispensables destinés à améliorer l'isolation sonique, à refuser les expertises sollicitées, à ne pas s'y rendre, alors que des rendez-vous ont été fixés d'un commun accord;
- le fait d'avoir persévéré à produire des bruits inutiles, malgré les demandes réitérées de les faire cesser;
- les injures, mesures de rétorsion, etc.
N'ONT PAS ETE CONSIDERES COMME DES FACTEURS ATTENUATEURS DE RESPONSABILITE:
- la surdité des patients âgés, celle-ci ne les dispensant en aucune manière d'user de casques d'écoute;
- le caractère vétuste de l'immeuble: tout occupant est désormais tenu de prendre les mesures nécessaires, que le logement soit moderne ou ancien.
4 - RESPONSABILITE DE L'ARCHITECTE, DU CONSTRUCTEUR...
- 1 - Le devoir de conseil double les obligations techniques des médecins,
des notaires, des banquiers, des avocats, etc. Outre l'accomplissement
de ce pourquoi on s'adresse à eux principalement (soigner, rédiger un acte,
faire un placement financier...), ils doivent mettre en garde leurs clients
sur les risques qu'ils encourent, les incertitudes des résultats
escomptés, etc. De même, l'architecte, le constructeur, l'exécutant des travaux...
doivent conseiller leurs clients sur leurs obligations en matière d'isolation
phonique, les contentieux et les procès auxquels ils s'exposent si les normes
légales et
réglementaires ne sont pas respectées.
- 2 - Les propriétaires ou locataires qui projettent des
travaux, doivent donc s'informer auprès de ces personnes, qui doivent, en
principe, avoir les compétences techniques pour les informer. Les exécutants
des travaux doivent refuser de les mettre en oeuvre s'il y a violation des
obligations imposées par la loi. Ces personnes engagent leur responsabilité, à des
degrés divers,
si elles ont manqué à leur devoir de conseil. A plus forte raison si leur attention
a été attirée en temps utile, notamment par
la future victime des malfaçons (exemple: co-propriétaire qui prend, à priori,
la précaution d'attirer l'attention de
l'architecte sur les nuisances à redouter, en particulier la pose d'un plancher
de bois non insonorisé, la détérioration du
niveau d'isolation préexistant, etc...).
De même que les avocats et les banquiers, les personnes impliquées dans les travaux doivent établir des actes écrits préalables,
afin de démontrer, en temps utile, accompli leurs obligations.
Paris, le 8 février 2008
Docteur Louis MELENNEC
docteur en droit et en médecine
.